Education.com contre Education.fr: la bataille de la marchandisation de l’enseignement est ouverte. Selon deux des “six scénarios pour l’écolede demain” que le Centre pour la recherche et l’innovation dans l’enseignement de l’OCDE a présentés en avril 2001 aux ministres de l’éducation des pays de l’organisation, le Réseau risque ni plus ni moins de précipiter “le démantèlement des systèmes scolaires “.
Dans cette école des années 2015-2020, l’enseignement serait de plus en plus privatisé, et les établissements publics ne subsisteraient que “pour les exclus du numérique”, courant le risque de se transformer en “dépotoirs”. Pour Jack Lang, ministre
de l’éducation nationale, ce ” scénario catastrophe ” n’est “pas plausible” et fait “abstraction de tous les efforts que nous avons engagés pour moderniser notre système éducatif et pour faire entrer le multimédia et Internet à l’école”.
Si elles sont alarmistes, les prévisions de l’OCDE n’en révèlent pas moins plusieurs évolutions que suit l’éducation en passant en ligne, à commencer par une marchandisation accrue. Car même si les éditeurs scolaires n’ont pas attendu Internet pour faire leur beurre de l’éducation, l’e-learning se dessine comme le nouvel eldorado de la Netéconomie, avec un marché
mondial estimé à 90 milliards de dollars pour 2002. Pour John Chambers, président de Cisco, l’ e-éducation est la prochaine “application miracle”.
Quant à Jean-Marie Messier, le patron de Vivendi Universal, il a investi 25 millions de dollars pour lancer son portail education.com à l’échelle de la planète. Selon Riccardo Petrella, conseiller auprès de la Commission européenne, Vivendi Universal fait partie de “l’Olympe des dieux qui vont dominer le marché mondial de l’éducation”. Car qui dit marchandisation dit
aussi mondialisation de l’offre éducative. Or le secteur de l’éducation est largement dominé par les Etats-Unis, qui sont à l’origine de 80 % de ces contenus en ligne. “Dans l’enseignement supérieur, le risque d’une
hégémonie américaine est réel avec des universités qui recrutent lar gement dans le monde entier”, reconnaît Jack Lang, qui compte sur les “campus numériques” des grandes écoles et universités françaises pour préparer la
riposte de l’éducation nationale.
Reste que la France paraît isolée dans ce combat pour la “résistance culturelle”, comme l’appelle le ministre. Ainsi est-elle la seule à s’opposer au projet de l’Organisation internationale de normalisation (ISO) d’imposer un numéro d’identification per sonnel (Simple Human Identifier) à tous les “apprenants ” et dont l’objectif est de ” rendre capables les technologies de l’information d’avoir un accès rapide aux profils et pré férences humains, tels les modes d’apprentissage, les capacités physiques, cognitives et les préférences culturelles”.
Ainsi Jacques Perriault, qui représente l’Afnor dans ce bras de fer, appelle-t-il les autorités françaises à ne pas céder face aux “marchands qui veulent utiliser l’e-learning pour se constituer des bases de données clients “. Mais il ne faudrait pas vendre la peau du “mammouth ” – si électronique soit-il avant de l’avoir tué. Tout simplement parce que l’enseignement en ligne,
même s’il possède un réel intérêt pédagogique, ne résoudra pas, comme semblent l’entendre nombre de promoteurs du e-learning, les maux de l’enseignement (cloisonnement et incapacité à s’adapter aux besoins individuels) en offrant un apprentissage dé barrassé de la contrainte du lieu et du temps.
Mais l’illusion n’est pas nouvelle. Au début du XXe siècle, des firmes américaines soutenaient déjà le développement de l’éducation par correspondance avec les mêmes recettes. Le résultat a été une énorme banqueroute. En sera-t-il de même avec l’e-learning ? Unext, une importante société américaine qui livre des plates-formes d’enseignement en ligne à de prestigieuses universités comme Stanford ou Carnegie Mellon, vient de licencier un tiers de ses effectifs. Ce qui fait dire à Daniel Rallet, le secrétaire national du Syndicat national de l’enseignement supérieur, qu’ “après celle du e-commerce, la bulle spéculative du e-learning risque de se dégonfler”.Pubblicato su: